Martinet aux ailes trop larges, qui vire et crie sa joie autour de la maison. Tel est le cœur.
Il dessèche le tonnerre. Il sème dans le ciel serein. S'il touche au sol, il se déchire.
Sa repartie est l'hirondelle. Il déteste la familière. Que vaut dentelle de la tour ?
Sa pause est au creux le plus sombre. Nul n'est plus à l'étroit que lui.
L'été de la longue clarté, il filera dans les ténèbres, par les persiennes de minuit.
Il n'est pas d'yeux pour le tenir. Il crie, c'est toute sa présence. Un mince fusil va l'abattre. Tel est le cœur.Fureur et mystère, René Char.
dimanche 30 mai 2010
"Le Martinet", René Char.
"Apothéose du point", Andrée Chedid.
APOTHEOSE DU POINT
« Foin de tout ce qui n'est pas le Point ! »
Dit le Point, devant témoins.
« Sans Moi, tout n'est que baragouin ! »
Quant à la Virgule !
Animalcule, qui gesticule
Sans nul besoin,
Je lui réponds à brûle-pourpoint :
« Qui stimule une Majuscule ?
Fait descendre les crépuscules ?
Qui jugule ? Qui férule ?
Fait que la phrase capitule ?
Qui ?
Si ce n'est
Le Point !
Bref, toujours devant témoins :
Je postule et stipule
Qu'un Point, c'est TOUT ! »
Dit le Point.
Fêtes et lubies, Andrée Chedid.
"Mes deux filles", Victor Hugo.
Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe,
L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe,
Belles et toutes deux joyeuses, ô douceur !
Voyez, la grande sœur et la petite sœur
Sont assises au seuil du jardin, et sur elles
Un bouquet d'œillets blancs aux longues tiges frêles,
Dans une urne de marbre agité par le vent,
Se penche, et les regarde, immobile et vivant,
Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase,
Un vol de papillons arrêté dans l'extase.
vendredi 21 mai 2010
"Du laid tétin", Clément Marot.
Tétin qui n’as rien que la peau,
Tétin flac, tétin de drapeau,
Grand’tétine, longue tétasse,
Tétin, dois-je dire: besace ?
Tétin au grand bout noir
Comme celui d’un entonnoir,
Tétin qui brimballe à tous coups,
Sans être ébranlé ne secous.
Bien se peut vanter qui te tâte
D’avoir mis la main à la pâte.
Tétin grillé, tétin pendant,
Tétin flétri, tétin rendant
Vilaine bourbe en lieu de lait,
Le Diable te fit bien si laid !
Tétin pour tripe réputé,
Tétin, ce cuidé-je, emprunté
Ou dérobé en quelque sorte
De quelque vieille chèvre morte.
Tétin propre pour en Enfer
Nourrir l’enfant de Lucifer ;
Tétin, boyau long d’une gaule,
Tétasse à jeter sur l’épaule
Pour faire – tout bien compassé -
Un chaperon du temps passé,
Quand on te voit, il vient à maints
Une envie dedans les mains
De te prendre avec des gants doubles,
Pour en donner cinq ou six couples
De soufflets sur le nez de celle
Qui te cache sous son aisselle.
Va, grand vilain tétin puant,
Tu fournirais bien en suant
De civettes et de parfum
Pour faire cent mille défunts.
Tétin de laideur dépiteuse,
Tétin dont Nature est honteuse,
Tétin, des vilains le plus brave,
Tétin dont le bout toujours bave,
Tétin fait de poix et de glu,
Bren, ma plume, n’en parlez plus !
Laissez-le là, ventre saint George,
Vous me feriez rendre ma gorge.Clément Marot
"La courbe de tes yeux...", Paul Eluard.
La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
Capitale de la douleur, Paul Eluard.
lundi 17 mai 2010
"La Vie", Marceline Desbordes-Valmore.
Nuage, nuage,
Beau passant de l'air,
Roulé dans l'orage,
Fendu par l'éclair ;
Couves-tu des flammes
Dans ton flanc vermeil ?
Portes-tu les âmes
Filles du soleil ?
Prends donc sur ton ailes
Mon âme avec toi ;
Mon âme éternelle
Est lasse de moi.
Mon âme flétrie
Qui vacille en bas,
Sens que sa patrie
Est là-bas ! là-bas !
Prends donc... mais que dis-je ?
A peine ma voix
Te parle, ô prodige !
A peine je vois
Rayonner ta robe
En reflet confus
Le vent te dérobe,
Passant ! tu n'es plus !
"Passant...", Yves Bonnefoy.
Passant,
regarde ce grand arbre
et à travers lui
il peut suffire.
Car même déchiré, souillé,
l'arbre des rues,
c'est toute la nature,
tout le ciel,
l'oiseau s'y pose,
le vent y bouge, le soleil
y dit le même espoir malgré
la mort.
Philosophe,
as-tu chance d'avoir l'arbre
dans ta rue,
tes pensées seront moins ardues,
tes yeux plus libres,
tes mains plus désireuses
de moins de nuit.
jeudi 13 mai 2010
"Le Thor", René Char.
LE THOR
Dans le sentier aux herbes engourdies où nous nous étonnions, enfants, que la nuit se risquât à passer, les guêpes n'allaient plus aux ronces et les oiseaux aux branches. L'air ouvrait aux hôtes de la matinée sa turbulente immensité. Ce n'était que filaments d'ailes, tentation de crier, voltige entre lumière et transparence. Le Thor s'exaltait sur la lyre de ses pierres. Le mont Ventoux, miroir des aigles, était en vue.
Dans le sentier aux herbes engourdies, la chimère d'un âge perdu souriait à nos jeunes larmes.
"L'Albatros", Charles Baudelaire.
L'ALBATROS
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule*,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire.
*Un brûle-gueule est une pipe au tuyau très court.
lundi 10 mai 2010
"La Fauvette", Michel Hardy.
Il est des fauvettes qui se refusent à voler afin de ne pas froisser la sensibilité extrême des humains qui les fréquentent. Elles cachent alors leurs ailes dans les replis de leur pardessus à capuche, ce qui leur donne un petit air bossu et des grâces de provinciale phtisique dignes de certains personnages de Flaubert. On les reconnaît au fait qu'elles parlent comme on vole lorsque l'on sait voler, avec de brusques changements de cap et des précisions d'avion de chasse britannique. Leur conversation est un enchantement et la douceur de leur propos donne envie de leur caresser les plumes d'une main prudente, pour ne pas les ensauvager.
vendredi 7 mai 2010
"Il pleure dans mon coeur...", Paul Verlaine.
III
Il pleut doucement sur la ville.
(Arthur Rimbaud.)
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure.
Quoi ? Nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
de ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !
Romances sans paroles, Paul Verlaine
"Les Larmes", Man Ray.
lundi 3 mai 2010
"Pour faire le portrait d'un oiseau", Jacques Prévert.
POUR FAIRE LE PORTRAIT D'UN OISEAU
Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger ...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau
Sans titre, Philippe Jaccottet
Y aurait-il des choses qui habitent les mots
plus volontiers, et qui s'accordent avec eux
- ces moments de bonheur qu'on retrouve dans les poèmes
avec bonheur, une lumière qui franchit les mots
comme en les effaçant – et d'autres choses
qui se cabrent contre eux, les altèrent, qui les détruisent :
comme si la parole rejetait la mort,
ou plutôt, que la mort fît pourrir
même les mots ?
"Les Papillons", Gérard de Nerval.
LES PAPILLONS
De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons ;
- Moi, le rossignol qui chante ;
- Et moi, les beaux papillons !
Le Papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !...
Quand revient l'été superbe,
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée
De poésie ou d'amour !
Voici le papillon 'faune'
Noir et jaune ;
Voici le 'mars' azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.
Voici le 'vulcain' rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le 'soufré', dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux 'nacré' passe,
Et je ne vois plus que lui !
Odelettes, Gérard de Nerval
Broche femme papillon de René Lalique.
samedi 1 mai 2010
Sans titre, Francis Ricard.
avoir été vivant avoir fait quoi ce temps passé là se dire j'en ai fait quoi j'ai servi à quoi j'ai donné quoi j'ai laissé quoi me suis battu pour quoi ai changé quoi devrait pouvoir se mesurer ça faudrait le mesurer le bien le mal ça doit bien exister à quoi se mesurer la pesée des cœurs un jour ça nous attend ça avec des plus et des moins on a servi ou on s'est servi ça doit bien se mesurer ça non ? le juste et l'injustifiable ça doit bien se peser au fléau de la balance ? peut-être peut-être pas vous pesez combien vous ? vous penchez de quel côté vous ? moi ? trois milliards et vous ? moi euh...
En un seul souffle, Francis Ricard
Illustration : la pesée du coeur d'Hounefer dans la mythologie égyptienne.
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"Le cageot", Francis Ponge.
LE CAGEOT
A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie.
Agencé de façon qu'au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu'il enferme.
A tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l'éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d'être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques, - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s'appesantir longuement.
Le Parti pris des choses, Francis Ponge.
Alberto Giacometti, Paris, 1932.